Aborder cette problématique revient, selon Yves Swchartz, à prévenir « le risque d’une cassure avec les univers du travail, dominés par d’autres exigences que l’activité de création qui s’est progressivement cristallisé en métiers et professions spécialisées ».
En dépit de la dimension parfois astreignante, utilitaire, répétitive voire mécanique du travail, force est de constater que les travailleurs, dans leur diversité et à des degrés divers certes, « fabriquent des savoirs, des savoirs faire, des solidarités. Ils travaillent des valeurs propres». Aussi, note le chercheur, « le travail a toujours crée des réserves d’alternatives, on travaille toujours autrement qu’on vous le demande, on n’est jamais dans la pure application-exécution ».
Ces entraves aux représentations dominantes sur le travail sont des « micro-créations pas toujours évidentes, souvent à peine visibles, mais inévacuables », conceptualisées comme « un projet-héritage ». A la fois passé collectif et foyer d’un monde commun à venir, il traduit une disponibilité collective à l’utopie, à la découverte… qui « fait beau ».
Si elle n’a rien de nécessaire, cette interaction peut-être provoquée. Preuve en est avec les artistes en résidence. La plupart du temps, c’est par les véhicules de l’écriture, de la photographie et du cinéma que ce dialogue entre artistes et salariés prend vie.
Lorsque l’art prend pied dans l’entreprise, il n’existe cependant pas de règles fixes quand aux modalités censées guider cette intervention. Alain Bernardini, photographe-plasticien et reprographe à mi-temps, choisit tantôt le passage en force, tantôt la concertation pour convaincre une hiérarchie du bien-fondé de sa démarche, qu’il veut « collaborative ».
A l’occasion de son immersion dans le quotidien de jardiniers de parcs municipaux en Seine-Saint-Denis, l’artiste a imposé à la direction des salariés parti-prenantes de son projet, le même rythme que le sien. Un temps suspendu et relâché propice à l’échange, condition d’une posture contemplative : « mon travail suggère un déplacement, physique et mental, des choses, des représentations. Cela a supposé de faire admettre progressivement un ralentissement nécessaire du rythme de travail » explique l’artiste.
Pour cette expérience, la direction a consenti à ce que les jardiniers prennent sur leur temps de travail pour se mettre librement en scène dans les photographies de Bernardini. Un geste créatif dont la bonne conduite tenait à la participation active des protagonistes : « les jardiniers ont inventé avec moi les images, ils ont produit des formes. Nous avons passé beaucoup de temps à ne rien faire, voire à ne rien dire ». Processus qui a fait voler en éclat la conception traditionnelle du travail rémunéré, segmenté et isolé des autres temps de vie. Résultat ? Des clichés grands formats montrant les salariés dans des postures décalées tout en demeurant gracieuses. « Ce qui m’intéresse n’est pas de leur faire rejouer le quotidien mais de les déplacer. Les coulisses et les seconds rôles m’ont toujours intrigué. Chacun est conscient de sa différence et de sa place mais on peut négocier une image» résume le plasticien.